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Arnaud Leclercq - Le système bancaire polonais décolle

Le système bancaire polonais décolle

Le système bancaire polonais est encore peu développé, monopoliste et utilisant certaines méthodes de travail de l'économie planifiée. Pourtant la Pologne possède un environnement propice au développement des activités financières.

1982: la première réforme

La première phase de réformes du système bancaire polonais date de 1982. Elaborée par les anciennes autorités communistes, elle visait trois objectifs dont tous ne sont pas encore atteints. Il semblait, avant toute chose, nécessaire de rétablir un certain équilibre économique, une politique monétaire réaliste et une plus grande autonomie des établissements bancaires pour la réalisation de cette politique. Le rôle des banques devait être accru à l'égard des entreprises en instaurant pour celles-ci le principe de l'autofinancement. Les banques devaient également, par elles-mêmes, rapidemment améliorer la qualité de leurs services et s'attacher au développement économique des régions. Ainsi, de participants passifs au processus de financement de l'économie, les banques sont devenues de véritables acteurs intervenants sur cette dernière.

Dès lors, le crédit a cessé d'être attribué par décision administrative, son octroi dépendant d'une analyse économique et de l'évaluation de la capacité de financement des entreprises. Fait extraordinaire pour l'époque, les banques ont reçu le droit de refuser un crédit aux entreprises non rentables qui pourraient se voir menacées de fermeture pour cause d'insolvabilité. Par ailleurs, la suppression des limites territoriales d'activité a permis de créer une véritable concurrence entre banques. Pour toutes ces raisons, et avant de lancer la création d'établissements financiers d'un type nouveau, les autorités polonaises d'alors ont procédé à des modifications substancielles dans les attributions traditionnelles des banques.

La Caisse générale d'épargne PKO a été détachée de la Banque nationale de Pologne afin de la transformer en établissement financier indépendant. Cette opération s'est achevée en novembre 1987 et a permis à la PKO de préserver ses prérogatives. Disposant de 300 agences à travers toute la Pologne, elle a en charge l'épargne de la population urbaine. Elle octroie aux particuliers des crédits à la consommation et à la construction de logements.

En outre, ce n'est qu'au début de l'année 1989 que la réforme du système bancaire a réellement commencé. La Banque nationale de Pologne (Narodowy Bank Polski) a été transformée en neuf banques d'état. Cette réforme a été freinée lors de l'arrivée au pouvoir de Monsieur Tadeusz Mazowiecki comme Premier ministre. Toutefois, la NBP bénéficiant de l'aide de la Banque de France pour adapter son organisation, pourra bientôt jouer pleinement son rôle de banque centrale en supervisant les activités bancaires du pays. La NBP dispose de 49 succursales de voïvodies (régions) et possède quelques agences dans chaque voïvodie pour la gestion du budget, l'achat et la vente de devises et pour le contrôle de la circulation monétaire. Depuis les lois du 31 janvier 1989, la NBP a pour fonctions le maintien de l'équilibre monétaire, l'organisation de la circulation de la monnaie fiduciaire ct scripturale, et la réalisation de la politique de crédit. Ainsi, la NBP décide notamment de l'attribution des crédits, y compris en devises; de la contraction des emprunts à l'étranger et de l'octroi des crédits à l'étranger.

La banque du secteur agroalimentaire BGZ recueille les dépôts et accorde des crédits aux fermes d'état, aux coopératives agricoles ainsi qu'aux entreprises du secteur agroalimentaire. Il existe également, traditionnellement en Pologne, des banques coopératives desservant les budgets communaux et les entreprises achetant les produits agricoles aux paysans individuels. Chaque commune dispose au moins d'une banque coopérative ou de sa filiale.

La Banque Commerciale (Banque Handlowy) finance les opérations réalisées par les entreprises du commerce avec l'étranger. Elle gère leurs comptes, comptabilise leurs transactions d'import/export et leur octroie des crédits en zlotys et en devises. Grâce à cinq filiales dont une à Londres, une à New York et une à Belgrade, elle exerce une activité sur les marchés de devises. Sur ce plan, la Bank Polska Kasa Opicki SA (PKO SA) rejoint la Bank Handlowy car elle s'est, elle aussi, spécialisée sur les opérations de crédits et sur le marché monétaire international. PKO SA est une banque indépendante de la Caisse générale d'épargne PKO. Grâce à son dynamisme, elle s'est développée internationalement et dispose de succursales à Paris et Tel-Aviv et met à profit ses liens privilégiés avec des réseaux de cambistes aux Etats-Unis, au Canada et en RFA.

La Banque de promotion des exportations a été fondée en 1986 avant la vague de naissances de banques commerciales privées de ces deux dernières années. Elle organise des adjudications de devises grâce auxquelles les entreprises nationales peuvent vendre et acheter des devises. Paradoxalement, cela a pour conséquence de permettre à ces entreprises de se fournir en matériaux à l'étranger et donc de favoriser des importations, contrairement à l'objectif initial visé par les fondateurs de cette banque.

La grande réforme de 1988

Dès le 1er mai 1988, neuf banques commerciales issues de succursales de la NBP ont été fondées dans les plus grandes villes polonaises: la Powszechna Kasa Oszczednosci à Varsovie, la Bank Slaski à Katowice, la Bank Przemyslowo-Handlowy à Cracovie, la Bank Depozitowo-Kredytowy à Lublin, la Powszechny Bank Gospodarczy à Lodz, la Wielkopolski à Szezecin, la Pantowy Bank Kredytowy à Varsovie et la Bank Zachodni à Wroclaw. Chacune de ces banques a pu dès le début étendre son activité sur tout le territoire polonais en étant en concurrence avec les autres banques et avec d'autres organismes financiers. Les banques commerciales peuvent tenir les comptes des entreprises et des collectivités locales, consentir des crédits aux entreprises et effectuer les opérations en devises pour les particuliers. Le premier établissement financier à avoir été privatisé est la BIG (Bank Inicjatyw Gospodarczych). Cette banque, créée en juin 1989, et détenue alors à 98 % par l'Etat, a réussi sa première émission puisque 15 000 actions étaient disponibles et 22 857 ont été-demandées. Son capital s'élève à 1 milliard de zlotys.

Le gouvernement actuel encourage la création de nouveaux établissements, avec des capitaux publics, privés et étrangers. Cette orientation politique s'est réalisée récemment par la constitution de vingt nouvelles banques au printemps 1990. Citons plus particulièrement la création de la première banque privée, la Leonard SA, autorisée en juin dernier. Dotée d'un capital de 10 milliards de zlotys (1 milliard de USD) et fondée par une dizaine d'actionnaires, elle vient de commencer son activité. Malheureusement, parmi les banques privées créées avec des fonds polonais, seules quatre sont pour l'instant opérationnelles: la BIG à Varsovie (juillet 1989), la Bydgoski Bank Kommunaly SA à Bydgoszez (décembre 1989), la Bank HandlowoKredytowy SA à Katowice (mars 1990) et la "Rollbank" SA de Poznan (avril 1990). On estime à une cinquantaine le nombre de banques qui seront ouvertes d'ici 1991.

Les autorités polonaises sont bien conscientes du fait que les banques étrangères hésitent encore quelque peu à s'installer sur leur territoire. C'est donc pour augmenter le nombre de dépôts de dossiers, pour fonder des établissements bancaires, qu'il est apparu nécessaire de moderniser les infrastructures. Ce mouvement se met en place. Il passe notamment par la "récupération" de bâtiments et de moyens ayant appartenus au Parti communiste. Grâce à l'aide internationale, les télécommunications vont se développer et se moderniser. La NBP prévoît seize réseaux régionaux opérationnels et centralisés avant 1991. Le système de paiement devrait voir passer ses délais de trois semaines à cinq jours. Enfin, l'arrivée de banques étrangères favorisera le perfectionnement des aptitudes professionnelles des employés et répandra les méthodes modernes de formation bancaire.

Il n'en reste pas moins que le système bancaire et financier polonais est encore handicapé par la non-convertibilité du zloty et par l'absence de Bourse. Le zloty a subit plus de vingt dévaluations en deux ans et son cours est désormais très voisin de celui pratiqué sur le marché libre, c'est-à-dire très bas. Son taux de change se maintient au niveau fixé en janvier 1990 (9 500 zlotys pour 1 $), le recours au fonds de stabilisation n'ayant pas été nécessaire jusqu'à présent. Quant à la création d'un marché boursier, elle est prévue pour 1991 comme conséquence logique au programme de privatisations (7 600 sociétés nationales) voté le 13 juillet dernier à la Diète. La Bourse de Pologne utilisera un système de trading informatique calqué sur celui de la Bourse de Lyon. Ce dernier est conçu pour recevoir beaucoup de petits ordres.

Collecte de l'épargne et distribution de crédit

Les banques polonaises ne se contentent pas d'améliorer leur fonctionnement interne et externe. Elles tendent également à renforcer la qualité de leurs services et à en développer la variété. C'est ainsi que l'intermédiation bancaire est à l'origine d'une offre de produits bancaires classiques en matière de dépôts et de crédits.

Il existe plusieurs possibilités pour rémunérer l'épargne des particuliers placée en zlotys ou en devises auprès d'une banque. Les livrets d'épargne sont très largement répandus, ce qui n'est pas le cas des comptes chèques rémunérés. En effet, les chèques ne sont pas gratuit. Les banques offrent aussi la possibilité d'ouvrir des comptes à terme en zlotys ou en devises: ces blocages génèrent une rémunération intéressante pour leurs détenteurs. Les banques proposent également des bons de caisse qui ont l'intérêt de pouvoir être au porteur. Le développement de tous ces produits d'épargne ou de dépôt est toutefois gêné par le développement encore insuffisant des systèmes de télétransmissions entre banques ou entre agences. Par ailleurs, la mise en place récente de quelques distributeurs automatiques de billets pourrait être l'occasion du développement du système de cartes de paiements et de cartes de crédit.

En outre, il existe plusieurs possibilités de rémunérer les dépôts des entreprises en zlotys et en devises. Celles-ci peuvent soit bénéficier de comptes bloqués à terme, soit obtenir une rémunération de leurs comptes courants. Elles peuvent également souscrire à des émissions de certificats de dépôts et notamment en dollars.

Les prêts bancaires aux particuliers sont presque exclusivement constitués de crédits à l'habitat, auxquels on peut ajouter quelques prêts aux jeunes ménages... Ces prêts garantis par une hypothèque sont parfois des prêts indirects. Ils sont alors octroyés directement aux coopératives immobilières qui construisent.

La diversité est bien plus grande en ce qui concerne l'offre de crédit aux entreprises. Elles ont le choix entre la possibilité de se voir attribuer des crédits globaux (credits subjectifs) octroyés aux entreprises d'Etat, des crédits spécifiques (crédits objectifs) octroyés aux exploitations agricoles (en fonction de la nature des invetissements), ou bien encore des crédits d'investissements purs. Ajoutons que l'escompte commercial se développe de façon importante en raison de l'allongement des délais de paiement inter-entreprises.

Pour tous ces financements, l'analyse du risque précédent très empreinte du système de distribution étatique, a tendance à se rapprocher de nos conception occidentales.

L'implantation des banques étrangères

Des formes de crédits nouvelles vont probablement apparaître grâce à l'arrivée de banques occidentales au nombre desquelles il faut compter les banques françaises qui viennent de sortir de la période glacière dans leurs relations avec la Pologne. La nouvelle donne législative et économique les autorise à emprunter avec prudence les chemins de ce pays bien que certaines d'entre elles y aient perdu des sommes considérables en 1981 et en gardent toujours une certaine amertume.

La loi bancaire du 31 janvier 1989, amendée le 28 décembre 1989, prévoit deux formes d'exercice de l'activité bancaire pour des intérêts étranger en Pologne. D'une part, l'ouverture d'un bureau de représentation. L'autorisation est donnée par le ministère de Finances et le président de NBP. Le bureau ne peut alors pas pratiquer des opérations de banques. D'autre part, la constitution d'une banque sous forme de société par action par au moins trois personnes morales ou dix personnes physiques. Cette dernière condition est vivement critiquée par les banquiers qui ne tiennent en aucune façon à se lier avec deux autres personne morales. Le consentement est donné par le président de la NBP en accord avec le ministère des Finances, après consultation du Conseil des banques. La NBP dispose d'un mois pour donner son approbation. La banque étrangère doit disposer d'un capital minimum de six million de dollars et jouir de locaux et de moyens techniques nécessaires à l'exercice de ses activités.

Le premier établissement financier étranger à être autorisé à opérer dans le pays depuis cinquante ans a été la Banque américaine en Pologne (BAP). Elle dispose d'un capital initial de 7,5 milliards de dollar. Elle a été suivie par des institutions réputées et notamment la Deutsche Bank qui a indiqué que 18% de échanges de biens et de services entre la RFA et la Pologne sont effectués par son intermédiaire. Autre banque allemande, la Dresdner Bank a ouvert un bureau de représentation à Varsovie en mai 1990. Elle suit attentivement le plan de privatisation et entend aider les entreprises polonaises à mettre sur pied des joints ventures avec l'Ouest et éventuellement à accorder des crédits sur place. La NBP se prononcera très prochainement sur deux dossiers de candidature présentés respectivement par la Scand Bank (Suède) et la Reifeisen Centro Bank (Autriche).

Bien qu'encore un peu frileuses, les banques françaises recommencent à s'intéresser à la Pologne. Par exemple, le Crédit Coopératif a créé une banque (la BISE) avec le ministère du Travail polonais sous forme de société anonyme avec un capital de six millions de francs. La BISE n'est pas pour l'instant une vraie banque mais elle prévoit d'ouvrir des comptes, de délivrer des chéquiers, de pratiquer l'escompte commercial et d'émettre des obligations vers avril 1991.

Le CIC, associé pour la circonstance à la Banque de l'Union Européenne, est présent depuis 1975. La Société Générale (depuis 1976), la BNP, le Crédit Lyonnais ainsi que d'autres sont également implantés. Le Crédit National, quant à lui, prévoit de prendre une part du capital de la Banque polonaise de développement (BPD) pour un montant de deux millions d'écus, soit 13,8 millions de francs. La BPD proposera des crédits à long terme aux entreprises polonaises en cours de restructuration avant leur privatisation et sera habilitée à effectuer des opérations de capital-risque.

L'arrivée de banques étrangères, un nouveau droit, des élections présidentielles encore pleines de promesses... Voilà de quoi perturber le paysage auquel le monde bancaire était habitué. Pourtant, tout prédispose le système bancaire polonais à véritablement "décoller", c'est-à-dire à devenir un vrai système bancaire concurrentiel voué au financement de l'économie polonaise. Cette économie, entrée dans un processus de libéralisation et de privatisations; a besoin de ce système bancaire aux nouveaux contours. La difficulté majeure pour les banques sera de bien s'accoutumer au risque de non-remboursement en capital, au même titre que les entreprises nouvellement créées ou privatisée devront être conscientes qu'elles sont financièrement vulnérables.

par Jean-Paul Guimbert et Arnaud Leclercq*
* Jean-Paul Guimbert, directeur général de Format Finance,
Arnaud Leclercq, Juriste, consultant spécialiste des pays de l'Est.

 

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Qui est Arnaud Leclercq?

Arnaud Leclercq

Citoyen suisse, Arnaud Leclercq est un banquier au parcours atypique, docteur en géopolitique et professeur HEC à Paris. Titulaire d’un MBA de HEC et diplômé de Harvard, il est cadre dirigeant reconnu dans le monde de la gestion de fortune, plus particulièrement avec les marchés émergents. Son livre «La Russie puissance d’Eurasie. Histoire géopolitique des origines à Poutine», publié en France (2013) et en Russie (2015), est désormais une référence. Ses analyses sont régulièrement partagées par les médias.