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Arnaud Leclercq - La Russie: une opportunité à saisir

La Russie: une opportunité à saisir

Afin de prendre la bonne décision, un investissemt doit-il s'inspirer à chaud des gros titres des médias? Les événements liés à la Russie tendent à prouver le contraire. Ainsi, après les invectives et la supposée résurgence de "l'axe du mal" du début de la crise géorgienne, l'on retient désormais des appels au calme accompagnés de vues plus nuancées sur les responsabilités.

Dans le même esprit, certains journaux annoncent en fanfare que les capitaux étrangers fuient en masse la Russie engendrant une spirale non contrôlée. Indéniablement, les gros titres marquent les esptits. Une simple recherche permet pourtant de trouver l'information (et non la rumeur) selon laquelle la Banque centrale de Russie estime ces sorties à 5 milliards de dollars, alors que des "analystes" non identifiés évaluent ce chiffre à 20 milliards. Comment s'y retrouver dans cette guerre des mots, si ce n'est en prenant un peu de recul?

S'il est évident que les relations internationales peuvent agir sur la bonne ou mauvaise tenue des marchés, il n'en reste pas moins qu'elles ne sauraient être le seul élément déterminant et que l'échauffement des esprits est un bien mauvais critère pour prendre une bonne décision de fond. Que sont-ils donc devenus ces merveilleux outils dont on rebat les oreilles de l'investisseur? Les comparaisons historiques, le price earnings ratio (PER), la recherche d'alpha, les stratégies long-short, la pénurie de matières premières, l'influence des spéculateurs, voire l'âge du capitaine?

Motivations partisanes

Le mur de Berlin est-il en reconstruction? Les caisses bien remplies du fonds souverain de la Russie (158 milliards) se seraient-elles vidées comme par enchantement? A l'évidence rien de cela. L'investisseur doit savoir garder la tête froide et fonder ses décisions sur des critères rationnels, ce qui ne semble pas avoir été le cas à la vue du recul de 30% du marché russe sur 12 mois. Il importe donc que tout investisseur se prémunisse des envolées émotionnelles de certains éditorialistes, voire des expertises de "think-tanks" ou instituts aux noms ronflants, dont tant les sources de financement que les motivations sont au mieux partisanes, au pire obscures.

Le drame qui se noue entre la Russie, la Géorgie, l'Abkhazie et l'Ossétie du Sud ne saurait interdire une lecture plus "balancée" de l'événement que le petit bout de lorgnette occidentale. On retrouve en effet avec la Géorgie tous les ingrédients de la géopolitique classique: maîtrise des ressources énergétiques; contrôle des voies de circulation; isolement géographique et économique de l'adversaire (pas encore qualifié d'ennemi); désinformation; propagandes; discours politiques enflammés et négociations de boutiquiers dans les coulisses. Bref, tout cela est vieux comme le monde et les enjeux de puissances entre Etats.

Si l'investisseur fait abstraction du battage médiatique, il se souviendra que l'Europe a besoin de la Russie pour ses ressources naturelles et comme débouché pour son industrie. Rien de ce qui était écrit, il y a quelques mois, n'a changé. De plus, les conglomérats russes sont très imbriqués dans le monde occidental. Ils sont cotés à la Bourse de Londres, possèdent des filiales en Europe ainsi qu'aux Etats-Unis et leurs partenariats avec les firmes occidentales sont très étroits. Enfin, outre de somptueuses propriétés sur la Riveria et en Sardaigne, les chérubins de tout oligarque qui se respecte sont scolarisés en Suisse ou en Grande-Bretagne.

Dichotomie aberrante

En parallèle, des investissements stratégiques sont réalisés en Russie par des groupes étrangers. PepsiCo vient d'annoncer la touche finale de l'achat de Lebedyansky, leader local de la production de jus de fruits pour 1,3 milliard. En résumé, personne n'a intérêt à voir la situation se dégrader et les échanges à tous niveaux n'ont jamais été aussi élevés.

La lecture de données sur la Russie apporte un éclairage tout aussi intéressant. Au début de l'année, le marché russe affichait un PER de 12,2, contre 5,5 actuellement. A regarder l'évolution des BRIC, l'on se rend compte que le marché russe affiche une décote de 33% par rapport au Brésil, de 50% par rapport à l'Inde et de 55% par rapport à la Chine, alors que ces pays ont connu aussi des corrections notables.

Les valeurs russes sont probablement attractives aux niveaux actuels, d'autant que l'économie se distingue par son dynamisme et sa robustesse. La croissance du produit intérieur brut (PlB) réel est attendue à 8%. Les ventes au détail croissent à un rythme de 20%, soutenues par l'émergence d'une classe moyenne parmi les plus importantes d'Europe. Une population dont on notera avec malice qu'elle n'est pas guettée par la crise du "subprime". Les finances publiques sont saines avec un surplus budgétaire (au niveau fédéral) évalué à 9,3% du PIB. Et la Banque centrale de Russie affiche 580 milliards de réserves, ce qui en fait une des institutions monétaires les mieux dotées. Il s'agit ni plus ni moins des meilleures données macroéconomiques de ces 15 dernières années.

La dichotomie est aberante entre les réalités de l'économie russe et l'évaluation catastrophique et pessimiste que d'aucuns en font. C'est un peu comme si les progrès réalisés depuis 2000 avaient été effacés d'un coup par la perception "abracadabrantesque" de certains médias occidentaux d'influence. Il faut revenir aux fondamentaux et regarder du côté de Moscou pour y saisir les opportunités.

par Arnaud Leclercq
Associé du Holding Groupe et responsable des activités
de Lombard Odier Darier Hentsch & Cie en Europe Centrale et de l'Est
Article paru dans Le Temps le 15 septembre 2008

Média

Le Temps, Suisse
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Qui est Arnaud Leclercq?

Arnaud Leclercq

Citoyen suisse, Arnaud Leclercq est un banquier au parcours atypique, docteur en géopolitique et professeur HEC à Paris. Titulaire d’un MBA de HEC et diplômé de Harvard, il est cadre dirigeant reconnu dans le monde de la gestion de fortune, plus particulièrement avec les marchés émergents. Son livre «La Russie puissance d’Eurasie. Histoire géopolitique des origines à Poutine», publié en France (2013) et en Russie (2015), est désormais une référence. Ses analyses sont régulièrement partagées par les médias.