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J.O. de Sotchi: un enjeu géopolitique?

Entretien radiophonique accordé à La Voix de la Russie le 28 janvier 2014.

Je crois comprendre que quoi que fasse la Russie, elle sera toujours considérée comme coupable. Si elle n’était pas candidate et si elle n’avait pas remporté l’organisation de ces Jeux, on lui reprocherait très probablement de ne pas prendre d’initiative, et maintenant qu’elle l’a fait et qu’elle l’a bien réussi, on lui reproche de trop en faire.

La Voix de la Russie: Qu’est-ce qu’en fait que ces Jeux ? Un enjeu politique ou juste de la chronique sportive ?

Arnaud Leclercq: L’enjeu est avant tout sportif mais déborde sur la géopolitique. Tout d’abord, pour noter ce que l’on vous reproche très souvent et ce que l’on entend dans les journaux occidentaux, je crois comprendre que quoi que fasse la Russie, elle sera toujours considérée comme coupable. Si elle n’était pas candidate et si elle n’avait pas remporté l’organisation de ces Jeux, on lui reprocherait très probablement de ne pas prendre d’initiative, et maintenant qu’elle l’a fait et qu’elle l’a bien réussi, on lui reproche de trop en faire. C’est une première remarque préliminaire pour relativiser certaines critiques que l’on entend. Ensuite on peut quand même aussi rappeler que la Russie participe aux Sports d’hiver depuis 1956, époque de l’URSS, et qu’elle est probablement le pays qui a remporté le plus de médailles avec la Norvège et le Canada. Il est donc assez légitime que ce pays du Nord – même si les Jeux se passent à Sotchi – remporte ces JO d’hiver pour y avoir participé depuis longtemps et avoir gagné beaucoup de médailles.

Ensuite le choix de Sotchi peut paraître étonnant, mais il n’y a pas énormément d’endroits où aller faire ces Jeux en Russie… entre l’Altaï, par trop éloigné des régions développées et l’Oural qui est trop bas. Il faudra peut-être rappeler aussi quelques leçons de géographie de base à ceux qui font cette critique aux organisateurs. Enfin concernant cette remarque préliminaire sur toute l’organisation et l’infrastructure réalisée, je crois que la Russie, comme la Chine avant elle et d’autres pays, a d’abord répondu aux règles qui lui ont été imposées par le Comité Olympique. Cet organisme a des critères extrêmement élevés aussi bien qualitatifs que quantitatifs.

Alors je crois que la Russie, comme n’importe quel pays qui a gagné, a tout simplement tenu ses engagements vis-à-vis du Comité Olympique afin de construire tout ce qu’il fallait. Je l’ai dit pour remettre l’église au milieu du village et il n’y a là rien d’extraordinaire.

Est-ce que cela déborde sur la géopolitique ? Je crois que – tout d’abord – cela déborde sur la Russie elle-même. À l’intérieur, cela déborde bien au-delà de Sotchi : c’est très important pour les Russes, parce qu’ils sont très fiers de ces Jeux, et à juste titre, comme un Français l’aurait été si cela se passait à Albertville. Je pense que cela contribue – et c’est bien ce que l’on voit actuellement sur la scène internationale – à mettre la Russie à nouveau à une place importante et c’est celle qui très probablement lui revient, sur la scène internationale. Même si c’est un événement sportif, cela n’en reste pas moins un symbole. Et l’on sait que le grand événement sportif de ce type – prenons de façon beaucoup plus caricaturale la future Coupe du Monde au Qatar – est toujours un symbole du rôle que souhaite prendre un pays organisateur dans le monde actuel.

Je pense qu’il faut regarder sur ce plan-là. Et l’important n’est pas seulement de participer, comme disait Coubertin, mais c’est aussi en l’occurrence, d’organiser et de le faire bien ! Le Président Poutine en a fait un enjeu personnel avec des infrastructures particulièrement spectaculaires. Cependant ce que l’on peut regretter dans tout cela, c’est plutôt la méthode. Je pense que les intentions de départ étaient très bien. Et on sait que ce chantier gigantesque a été assez difficile. Dès le départ, il y a eu un certain nombre de responsables de ce grand projet qui ont été remplacés au fur et à mesure régulièrement sans parler d’une loi spéciale qui a été faite pour toute la région de manière à finir ce chantier dans les temps. Donc, il y a, malheureusement, toute la méthode qui a dérivé contrairement aux bonnes intentions de départ. On parle aussi beaucoup de corruption plus que des résultats… Une fois encore, on mélange toujours ce résultat que je trouve vraiment remarquable et légitime et une méthode qui, pour faire tout cela est sans doute plus discutable, en tout cas, d’après ce que l’on peut deviner.

La Voix de la Russie: Certaines compagnies financières internationales entendent investir dans le Caucase… Comme Vinci, par exemple, qui serait prête, de source non confirmée, mettre jusqu’à 1,5 milliard d’euros dans l’escarcelle. Comment trouvez-vous ces plans : est-ce un bon investissement avec un résultat garanti à la clé ?

Arnaud Leclercq: Je crois qu’il faut toujours se méfier un petit peu des effets d’annonce. D’une part, soit ils interviennent sur commande c’est-à-dire qu’ils interviennent comme constructeurs pour réaliser un certain nombre de travaux avec un grand partenaire local avec lequel cette organisation partage l’investissement : là ce serait parfaitement quelque chose de faisable… Pourquoi pas ? Cela peut être aussi un Etat ou une région qui garantit comme les autoroutes, si vous voulez, qui se paient sur la durée.

Mais maintenant si les grandes sociétés – et je ne peux parler bien sûr au nom de la société que vous venez d’évoquer – décident elles-mêmes d’investir des sommes très importantes pour conduire des projets avec des dimensions que l’on connaît, ça me surprend beaucoup. D’abord je ne sais pas non plus si les organismes d’assurance-exports accepteront d’assurer des projets de cette dimension, particulièrement dans une zone connue pour être politiquement encore instable, à évoquer le drame de Volgograd survenu encore récemment. J’en doute un petit peu. Mais tout dépend de la casquette que ladite société mettra pour intervenir. Maintenant le fait que ces infrastructures très impressionnantes soient construites à Sotchi est un fait positif. Je crois qu’il faut finalement s’en réjouir. Je n’ai pas de jugement à porter sur le budget de l’Etat : était-ce trop cher ? Je ne suis pas citoyen russe. J’ai la modestie de rester à ma place. Il faut voir aussi que n’importe quel autre pays a des investissements importants à réaliser. En France, quand on voit certaines mairies, certains bâtiments qui sont construits… Certes, c’est à moindre échelle ! S’il n’y en avait eu, il n’y aurait probablement aucun grand bâtiment ou grande construction dans ce monde ! Il faut également espérer que le tourisme y aille de toute la CEI pour faire vivre ces magnifiques installations et peut- être même au-delà ! Je crois qu’il faut être juste à l’égard de la Russie, pas complaisant, mais juste.

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La Voix de la Russie

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Qui est Arnaud Leclercq?

Arnaud Leclercq

Citoyen suisse, Arnaud Leclercq est un banquier au parcours atypique, docteur en géopolitique et professeur HEC à Paris. Titulaire d’un MBA de HEC et diplômé de Harvard, il est cadre dirigeant reconnu dans le monde de la gestion de fortune, plus particulièrement avec les marchés émergents. Son livre «La Russie puissance d’Eurasie. Histoire géopolitique des origines à Poutine», publié en France (2013) et en Russie (2015), est désormais une référence. Ses analyses sont régulièrement partagées par les médias.