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Arnaud Leclercq - Chine et Russie avancent leur pions dans le grand jeu géopolitique

Chine et Russie avancent leur pions dans le grand jeu géopolitique

Pour ce dernier sommet du G20 tenu sur fond de massacres en Syrie et relents de guerre froide, le dessert du jour est la nouvelle "lutte contre le mal" qui se situe désormais dans les "paradis" fiscaux.

Dans une sémantique assez croustillante d’où tout once d’autocritique semble inutile, les paradis deviennent un enfer, un des ces lieux où l’imagination populiste de certains dirigeants imagine que les riches de tous les pays se seraient unis pour se baigner dans le stupre. Il faut donc les vouer aux gémonies. Vade retro satanas ! Dans une démarche que d’aucuns auraient vite fait de qualifier d’hypocrite, notamment quand on pense au Delaware, cela permet aux gardiens de la bonne conscience vivant au rythme effréné des élections nationales, fédérales, régionales, cantonales et municipales de ne surtout pas trop s’attarder sur ses propres petites turpitudes de politique intérieure. Jetons un voile pudique sur une gestion laxiste pendant des décennies ayant pour conséquences un chômage dramatique, une insécurité croissante, des dettes abyssales et des perspectives économiques pour le moins glauques. Cela permet en outre de survoler allègrement les déconvenues d’une diplomatie occidentale provoquant des guerres au nom de la démocratie et de principes humanitaires à géométrie variable en parvenant à un résultat aussi paradoxal qu’extraordinaire de laisser ses pires ennemis gagner du terrain. Alors que l’on dénombre plus de 100.000 morts en Irak depuis la guerre de libération lancée par le camp occidental, il est pour le moins embarrassant de constater que l’Iran contrôle désormais de facto ce pays. Sans tirer un seul coup de canon, un territoire stratégique disposant des quatrièmes réserves mondiales de pétrole est tombé dans son escarcelle, tandis que les fondamentalistes n’ont jamais aussi présents au Proche-Orient et en Afrique.

Pendant que chancelleries échangent des communiqués fermes et virils, alors que le Proche-Orient se prépare tristement, encore une fois, à la destruction et au chaos, les Russes et les Chinois tricotent sans bruit leur petite pelote « géoéconomique ». L’outil indispensable que fût le secteur énergétique dans la reconquête du pouvoir par Poutine dès les années 2000 demeure le prolongement naturel du Kremlin, mais tend à devenir désormais un instrument de sa politique extérieure. Il est clair que ce n’est qu’un début et que les « champions nationaux » seront utilisés aux mêmes fins.

Prenons l’exemple de Gazprom qui poursuit son expansion loin de l’Europe. Au mois de juillet, en échange d’un engagement d’investir 700 millions de dollars en maintenance et modernisation des infrastructures, le géant gazier a déboursé un dollar pour reprendre tout le système de transmission, stockage et distribution du Kirghizstan, sachant que ce petit État enclavé est entièrement dépendant de l’Ouzbékistan et du Kazakhstan pour importer son gaz. C’est clairement une réponse à la puissance chinoise colonisatrice dans la région. Heureux hasard des choses, rappelons-nous également que le Kirghizstan a récemment proposé une nouvelle artère de transit pour les hydrocarbures entre le Turkménistan et la Chine. Or, deux mois plus tôt, le Kirghizstan a fait sa demande officielle pour rejoindre l’ « Union Douanière Eurasiatique » chère au Président Poutine, dans laquelle il espère réunir l’ensemble des ex-républiques soviétiques. La Russie se pose ainsi en arbitre incontournable pour atténuer les tensions entre ces trois pays voisins… et s’offre un effet de levier très intéressant vis-à-vis de la Chine, son seul concurrent en Asie Centrale. Remarquons enfin que les États-Unis qui avaient pris pied dans ce pays à la suite des attentats du 11 septembre en sont désormais progressivement éjectés.

De son côté, la Chine continue à augmenter ses capacités d’importations. Un pipeline la reliant au Myanmar d’une capacité de douze milliards de mètres cubes a été inauguré en juillet dernier. Comme en écho, Gazprom a annoncé la construction du Siberian Pipeline Power d’une capacité de 25 milliards et le pétrolier Rosneft vient de faire une entrée fracassante en Azerbaïdjan par la signature d’un accord stratégique avec la SOCAR incluant l’exploration, la production et la commercialisation de pétrole et de gaz dans le pays même et à l’étranger. En outre, Rosneft va augmenter ses exportations vers la Chine de 30 milliards de tonnes par an.

Enfin, la Russie commence également à s’éloigner de ses frontières naturelles, par exemple en s’associant au projet allemand Wintershall en Argentine. D’ici la fin de l’année, Gazprom devrait y obtenir une participation dans des 27 milliards boe en échange de 25% accordés dans les gigantesques réserves Achimov en Russie. Non loin de là, Gazprom vient de signer un important accord de service d’une durée de 40 ans avec la Bolivie pour le champ Acero.

Lassé des rodomontades morales de l’Union Européenne, énervé de la politique étrangère des États-Unis, tout comme la plupart des autres BRICs et affiliés, la Russie pousse ses pions en Eurasie et désormais bien au-delà. Son fond de commerce principal reste en Europe de l’Ouest mais il ne va plus augmenter. La croissance viendra de la Sibérie et de l’Asie Centrale et, pour le Président Poutine, l’économie n’est visiblement jamais dissociée de considérations géopolitiques.

Arnaud Leclercq

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Qui est Arnaud Leclercq?

Arnaud Leclercq

Citoyen suisse, Arnaud Leclercq est un banquier au parcours atypique, docteur en géopolitique et professeur HEC à Paris. Titulaire d’un MBA de HEC et diplômé de Harvard, il est cadre dirigeant reconnu dans le monde de la gestion de fortune, plus particulièrement avec les marchés émergents. Son livre «La Russie puissance d’Eurasie. Histoire géopolitique des origines à Poutine», publié en France (2013) et en Russie (2015), est désormais une référence. Ses analyses sont régulièrement partagées par les médias.